A la fois un acte militant contre une discrimination des personnes en situation de handicap,
une création artistique expérimentale multi sensorielle baptisée audio dessin,
Et une réflexion sur l’accessibilité universelle.
Le Contexte.
Je suis complètement aveugle, un peu créateur de chansons, et à l’origine de
ce collectif artistique, Les Restreint·es du Cœur,
militant pour la déconjugalisation de l’Allocation Adultes Handicapé·es.
Rappelons d’abord l’injustice à l’origine de notre combat, et donc, entre autres, de ce projet :
Les Adultes Handicapé(e)s sans travail peuvent percevoir une allocation qui compense partiellement leurs difficultés à trouver du travail ou l’impossibilité de travailler. Mais les ressources de leur conjoin(te) sont prises en compte dans le calcul de ce revenu. L’AAH (Allocation Adulte Handicapé-e) diminue si la personne avec qui vit sa ou son titulaire dépasse 1100 € à peu près pour disparaître totalement au-delà de 2200 €. Cela rend la personne handicapée financièrement dépendante de la personne avec qui elle vit en couple.
Depuis longtemps, des associations, des collectifs, des politiques, des artistes… se battent contre cette injustice. Une proposition de loi avait fini par faire l’unanimité de toutes les oppositions et d’une partie de la majorité, mais la secrétaire d’état, Sophie Cluzel, s’arcboutait contre ce qu’on appelle la déconjugalisation, ou l’individualisation de l’AAH
En juin 2021, à la veille du passage en seconde lecture à l’Assemblée Nationale de cette loi, nous avions produit une parodie, (ou une adaptation selon la SACEM) de la chanson Les Restos du Cœur, de Jean-Jacques Goldman. Cette première création pour la déconjugalisation, qui donnera son nom à notre collectif, était déjà un objet artistique difficilement identifiable. Pour la petite histoire, si c’est une parodie, on n’a pas a obtenir d’autorisation de l’auteur. Ce qui caractérise une parodie c’est qu’elle est humoristique. Le texte contenait des tournures humoristiques mais était globalement une charge militante. Bref, l’interlocuteur à la SACEM a considéré qu’il relevait du droit sur les adaptations et qu’il fallait obtenir l’autorisation de JJ Goldman. Or celui-ci avait lui-même créé cette chanson à la demande et d’après une idée de Coluche. Il en a donné les bénéfices aux Restos du Cœur, et estime que c’est à eux de donner l’autorisation. Malgré tout, en droit français, le droit moral est incessible et ce serait donc bien à Jean-Jacques de décider in fine. Le statut de cette création n’est pas tranché quand j’écris ces ligne, en janvier 2022. Face à l’urgence de notre combat, en l’absence d’enjeux pécuniaires de notre démarche, nous avons laissé la question en suspend et avons publié notre premier clip sur YouTube.
Les Restreints du Cœur, la chanson
Puis une seconde chanson, création originale, avec seulement 2 références explicites à une chanson et à un sketch connus, adressée avec humour au président Macron :
Ces expériences, non conceptualisée a priori, ont nourri des réflexions déjà ébauchées. Que crée-t-on vraiment ?
Peut-on pertinemment délimiter la nature d’un objet artistique ?
Comment faire en sorte qu’une création soit accessible à tou(te)s ?
Et l’accessibilité apporte-t-elle un plus ?
Est ensuite venue l’idée d’un dessin humoristique et militant. Stéphanie Simon, artiste mancelle multi facettes qui avait participé aux enregistrements, aux clips et à la communication des 2 premiers projets, a composé, à partir de ce que j’avais imaginé, un dessin.
De la même manière que nous avions prévu des sous-titres pour sourds et malentendants pour notre clip, il était nécessaire de rendre ce dessin accessible aux déficients visuels au moyen d’une audio description. Avec les personnes voyantes du collectif, dont Benjamin Kling, par ailleurs audio descripteur de métier, nous avons alors rédigé la description.
Nos échanges ont aussi permis :
– à moi de préciser mon intention,
– aux voyant(e)s de discuter des choix,
– et à Stéphanie de reconsidérer son dessin.
Nous avons alors pensé que nous pourrions ajouter à l’audio description des illustrations sonores, de manière que l’ajout d’une audio description s’insère dans un projet artistique non identifié qui s’adresse à tou(te)s, une sorte de dessin multimédia, ce qui fut alors baptisé
« audio dessin ».
En décembre, Jenny et Laurent (de notre collectif) ont eu envie de donner corps à cette idée et ont enregistré le texte et sélectionné les musiques pour l’accompagner.
Se posait maintenant la question du contenu des sous-titres pour sourds et malentendant-es. A priori, ces personnes voient le dessin et n’ont pas besoin d’en avoir une description. Mais puisque la bande son ajoute des ambiances sonores, puisque l’audio description sera audible par tou(te)s, il devient nécessaire de leur proposer les sous-titres. On aurait pu se contenter de donner les indications musicales, mais est-ce que cela n’intéresse pas les personnes sourdes, pour une fois, de connaître ce qu’entendent les déficient-es visuel-le-s ? Les personnes sourdes, même quand elles ne demandent pas à entendre, ont besoin, ou/et apprécient, d’avoir accès aux informations sonores du monde dans lequel ils vivent, entre autres par des sous-titres adaptés avec des codes couleur, selon la nature de l’information transcrite. Par chance, en plus de Nicolas qui avait réalisé les sous-titres des 2 chansons, nous a rejoint Christine, qui a sous-titré magnifiquement cet audio-dessin.
des aveugles, même ceux qui n’ont jamais vu, participent à des médiations culturelles utilisant la description, mais aussi le dessin en relief, la danse, des maquettes… pour accéder à la peinture, au cinéma, à des spectacles chorégraphiques, circassiens…
Les personnes voyantes témoignent de l’enrichissement personnel qu’elles retirent de leurs participations à ces médiations culturelles. Autrement dit, la nécessité de rendre accessible une création visuelle à une personne non-voyante, apporte aussi aux personnes voyantes.
C’est là un des avantages de l’accessibilité à prétention universelle. Lorsqu’on conçoit quelque chose d’accessible à une ou plusieurs (a-normalité-s), cela ajoute de la valeur pour le plus grand nombre. On prend souvent comme exemple les planchers des transports en commun, auxquels on accédait souvent par des marches. Pour que les personnes en fauteuil roulant puissent y accéder, on a créé des trams, des bus et des trains dans lesquels chacun(e) peut entrer sans plus avoir de marche à monter. Cela s’est avéré aussi plus pratique pour les poussettes, les Cadis, les valises à roulettes, les petits enfants, les personnes âgées, avec des cannes… au final, pour tout le monde utilisant les transports en commun. Et nombre d’inventions de notre quotidien sont ainsi nées de nos différences.
De façon comparable, les outils de médiations culturelles utilisés dans des créations artistiques en tant qu’éléments de création à part entière peuvent apporter un plus et engendrer de nouvelles formes, de nouveaux objets artistiques. C’est le sens de cette démarche.
Qu’en dites-vous ?